Tongs vagabondes

Après avoir porté leur propriétaire sur le bitume des grandes villes, la poussière des chemins de terre ou les sables de bord de mer, ces tongs ont cru finir leur vie dans le plastique dur et froid d’une poubelle mais c’est vers d’autres voyages que je les ai invitées pour les faire “vagabondes messagères”. Certaines d’entre-elles, affranchies comme il se doit, ont réellement été confiées à la bonne volonté des employés de la poste qui en ont pris le plus grand soin puisqu’elles sont arrivées entières dans la boîte à lettre de leur destinataire !

Tongs vagabondes

 

La tong… inventée il y a 5500 ans pour marcher dans 

les sables chauds du désert sans se brûler les pieds.

Il y a quelques années, alors que je commençais un voyage à pied en Libye, j’ai choisi de laisser dans mon sac les chaussures pourtant idéales pour cette marche qui devait approcher les 200 km. A la place, j’ai chaussé mes tongs que j’ai gardées aux pieds durant tout le périple. Je voulais, de cette façon, me rapprocher un tout petit peu plus de la vie des touaregs, des bergers, des nomades en général. Les tongs ont terminé le voyage entières, mes pieds eux avaient quelque peu souffert des griffures des buissons épineux et aussi, de la température extrêmement basse du sable le matin.

Quelques mois avant, les sandales qui avaient accompagné un autre voyage en Mauritanie n’avaient pas supporté la température du sable qui était, cette fois alors, particulièrement élevée. Rafistolées avec les moyens du bord, elles avaient néanmoins tenu jusqu’à la fin du voyage.

. . .

 

 

Les pieds de Théodore

 

Extraits de “Tais-toi et marche...”, petit journal de route écrit par Théodore Monod lors de sa première exploration du 20 décembre 1953 au 21 janvier 1954 dans le Majâbat al-Koubrâ en Mauritanie.  

 

Le 22 décembre : “… Mauvaise nuit et mauvais journée : j’ai déjà les deux pieds en marmelade, avec de copieuses ampoules à la plante, qui ne facilitent pas la marche… Il faut l’avouer, le “rodage” est sévère…”

 

Le 25 décembre : “… Je marche en chaussettes. Ça protège la plante des pieds contre les érosions de ce diable de sable : un vrai émeri !…”

 

Le 31 décembre : “… Ça y est. il a fallu dix jours, mais on y est arrivés : mes deux talons ont simultanément éclaté ; ça devait arriver. C’est agaçant, parce que ces saletés de crevasses, c’est à la fois ridiculement anodin et extrêmement douloureux ; Ça ne facilite pas la marche…”

 

Le 1er janvier : “… Les pieds vont mal. Cela devient gênant. Et les trois heures dix de marche de ce matin n’ont pas arrangé les choses. Pour la première fois, à l’arrivée, je me suis étendu, immobile et fatigué…”

 

Le 3 janvier : “… Ah, ces histoires de pieds… Le problème insoluble des pansements aux pieds… D’abord, c’est impossible à faire tenir, et, d’ailleurs, cela ne fait que piéger le sable et l’immobiliser contre les parties meurtries, procurant à celles-ci un abrasif amélioré dont on n’eût, certes, pas besoin. Il n’y a donc rien à faire qu’à attendre, en clopinant de façon ridicule, que cela guérisse…”

 

Le 4 janvier : “… Ah, Seigneur, pourquoi nous avoir donné ces pieds, ces affaires de chair fragile, vulnérable, déchirable, souffreteuse ?…”

 

Le 8 janvier : “… Ce n’est pas douteux : le Seigneur en veut à nos pattes de derrière. Sinon, nous eût-il obligés, le matin, à patauger, pieds nus, dans du sable à - 0° 5 ? …”

 

Le 17 janvier : “… L’heure merveilleuse, l’heure vengeresse de l’immobilité à l’arrivée à l’étape… La journée n’a pas été trop dure. Mais Seigneur, les pieds, les pieds… Nous ne méritons pas ça…”

 

Le 19 janvier : “… Miracle : ma plus mauvaise crevasse pédestre va mieux. C’est bien ma veine : juste au moment où je n’ai plus besoin de mes pieds ! …”

 

 

Théodore Monod (1902-2000), scientifique naturaliste, explorateur, philosophe et humaniste français est l'auteur de nombreuses publications sur le désert.             

 

 

. . .

 

 

Depuis 5500 ans, la tong porte l’humanité 

à travers les siècles et les continents 

 

Marcher sur le sable sans se faire mal et sans se brûler les pieds, voilà pourquoi, 3 500 ans avant JC, les Egyptiens ont imaginé ces sandales qui étaient alors une simple semelle rigide en papyrus tressé et dotée de lanières de cuir. Lorsque la tombe de Toutankhamon a été découverte en 1922, elle en recelait une bonne centaine faites de jonc, de papyrus mais aussi d’or ou de bois marqueté d’os et de nacres.

Depuis, la tong a été portée par les impératrices romaines, les indiens et les perses, et plus tard, dans les rizières nippones, les savanes africaines, les forêts tropicales du sud-est asiatique ou les broussailles piquantes du Brésil avant d’être utilisée sur la planète entière.

Écrire commentaire

Commentaires: 0